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Les salades du 9.3

René Kersanté : le dernier des maraîchers accessible en métro

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« Il y a 58 ans que l’on doit être exproprié.» A Saint-Denis, dans le 9.3, René Kersanté a vu routes et tours pousser sur les champs de ses voisins. Lui, breton pur artichaut est passé entre les mailles du filet. A 73 ans, il est aujourd’hui le seul maraîcher rescapé de la ville.

Côté rue du 114 avenue Stalingrad, un bâtiment ordinaire. Portail vert, briques décrépites, aucun charme particulier à déclarer. Sur le toit seules deux grosses citernes noires laissent entrevoir une quelconque activité agricole. Apparaissent alors quelques roses trémières, puis au coin de la rue, juste en face d’un M jaune élancé vers le ciel, logo d’une restauration devenue familière, trois hectares de salades, de radis et de plantes aromatiques.

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La salade, ça conserve.

René, septuagénaire fringant au chapeau de cuir greffé sur la tête téléphone entre les rangs de batavias. Il se précipite à notre rencontre, toujours ravi d’avoir de la visite. « Avant, on était des cul-terreux, on ne nous regardait pas. » Il y a 50 ans, pour séduire sa future femme à la surprise-party du village, René se fait même passer pour étudiant. « Aujourd’hui, les mentalités ont changé, les maraîchers urbains font partie du paysage. » Pour sûr. Dans la troisième ville la plus peuplée d’Ile-de-France (après Paris et Boulogne Billancourt), la famille Kersanté est carrément un monument au même titre que la basilique, le Stade de France, la cité des Francs-Moisins ou le terminus de la ligne 13.

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Il était une fois Saint-Denis à la campagne où les salades poussaient sous cloches.

« Ma grand-mère, Marie Pellan, est arrivée de Bretagne en 1920. C’est elle qui a fondé l’exploitation. » Point de hasard, si l’aïeule pose ses cloches à salades ici. Au début du XXe siècle, la plaine de Saint-Denis est la plus grande zone de maraîchage d’Europe. L’eau y est abondante, les agriculteurs s’installent sur les marais (marais-maraichers, vous voyez l’idée ?), drainent, canalisent, pompent et se font prendre en photo avec leur tuyau, symbole de la supériorité de l’homme sur l’eau. « En 1859, 1804 maraîchers cultivaient dans Paris intramuros », détaillent les cartes de Jean-Michel Roy, spécialiste du patrimoine maraîcher d’Ile-de-France. En 1959, ils ne sont plus que 626, tous relégués de l’autre côté du Périphérique. En 2014, René et ses 25 ouvriers agricoles en pleine saison sont les derniers Mohicans en bottes de Saint-Denis.

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Les salades les plus proches de Paname.

« En 1956, alors que nous étions une soixantaine de maraîchers sur la commune, les promoteurs commencent à virer certains d’entre nous. J’avais 15 ans, c’était assez effrayant. A table, on ne parlait que de ça. Au départ, les gars du coin se sont associés pour se défendre et puis, petit à petit, tout le monde s’est envolé avec son pactole. » Dans la famille Kersanté, on achète des terres de secours plus loin : Stains, Pierrefitte,… jusqu’en 1983 où la ville pré-empte le terrain pour mieux protéger la famille. « Depuis, nous sommes toujours locataires, mais de la ville cette fois »

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La maman de René, aux Halles de Paris, à l’époque où Rungis n’existait pas.

Exceptées les tours érigées tout autour du terrain, qu’est-ce qui a changé en 40 ans de culture ? Pas grand chose. On ne traitait pas hier, on ne pulvérise pas plus aujourd’hui. « Je ne mets pas de tunnels, ça gâche le paysage, je ne cultive que du plein champ ». Sa grand-mère, elle, utilisait des cloches de verre pour protéger les salades du froid, raconte René photos jaunies à l’appui. Parmi la liasse de clichés agrandis, le passionné sort un portrait de sa mère aux Halles de Paris. « Levés à 2h du matin, nous venions en camion décharger nos marchandises et tout ranger sous le regard de la police vêtue de cape sombre. Je repartais avec mon père sur l’exploitation un peu plus tard, quand tout était en place alors que ma mère restait jusqu’à 8h pour assurer la vente. »

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Vente au marché….

1969, fin des Halles, début du MIN de Rungis : René revoit tous ses circuits de distribution. Aujourd’hui, il vend 10% de sa production au marché bouillonnant de la ville (1 euro la salade) et 90% aux Carrefours du coin (39 centimes la belle revendue 99 centimes). « Depuis la liberté des prix, c’est l’arnaque, on nous achète nos légumes de moins en moins chers. » Mais revoir aujourd’hui une logistique faite de 15 camions, d’un mécanicien à plein temps et d’un va-et-vient parfaitement huilé n’est pas à l’ordre du jour. L’urgence est plutôt de trouver des repreneurs.

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… ou au supermarché.

« C’est qu’il est pas tout jeune le Pépère », s’amuse René qui ne compte pas pour autant prendre sa retraite. « Si on avait dit à Tabarly : tu ne montes plus sur ton bateau, il en serait mort. Moi c’est pareil, je ne suis pas plus heureux que sur mon tracteur. C’est lui qui m’emmènera jusqu’au bout. » René Kersanté, vieux loup de terre devant l’éternel…

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En savoir plus sur l’agriculture en Seine-Saint-Denis ? C’est par ici. Si vous êtes dans le coin, inscrivez-vous aux visites organisées par la ville de Saint-Denis, .

5 commentaires

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  1. Chapeau mon oncle , elle est trés jolie cette histoire de vie ,
    je pense à la famille souvent .

  2. Super sujet sur un espace vraiment exceptionnel qu’il faut bien entendu défendre ! Il ne faut cependant pas penser que c’est idéal : cette exploitation résiste dans son modèle économique (mécanisation, recours à des saisonniers, etc.) car elle possède d’autres sites de production, dans l’Oise notamment. La distribution des récoltes est en majeure partie réalisée dans des grandes surfaces (pas forcément locales d’ailleurs…).
    Félicitations donc à cette personnes d’avoir eu le courage de préserver son exploitation, peut-être qu’aujourd’hui la collectivité doit se poser la question du type de repreneur qu’elle souhaite voir s’implanter : permaculture ? relocalisation ? emplois locaux ? liens avec le quartier ?

  3. Bonjour,
    Je suis ravie que ce monsieur « résiste ».
    Il faut aller au marché à minima pour les fruits et légumes, c’est la survie des petits producteurs qui en dépendent.
    Félicitations.
    Amitiés.

  4. Un changement vraiment radical, en espérant que ces petits producteurs locaux reviennent, hélas la plupart des gens les ignorent et préfère aller acheter au supermarché du coin, quitte à faire plus de kilomètres…

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