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Mikaël et Christian : agriculteurs d’eau douce

S’il existait une liste rouge des professions agricoles en danger, la cressiculture y figurerait en bonne place. Les producteurs de cresson ne sont plus qu’une centaine en France, dont un tiers se trouve concentré au Sud de l’Ile-de-France. A Vayres-sur-Essonne, Christian et Mikaël, père et fils cultivent le cresson sur une soixantaine d’ares. Face au vent de la mondialisation, ces agriculteurs d’eau douce tiennent le cap.

Christian à gauche, Mikaël à droite. Père et fils, cressiculteurs à Vayres-sur-Essonne, où le cresson pousse depuis 1856.
Christian à gauche, Mikaël à droite. Père et fils, cressiculteurs à Vayres-sur-Essonne, où le cresson pousse depuis 1856.

Christian vient de chausser ses raquettes de neige et patauge dans l’un des fossés à cresson. En apesanteur dans 10 centimètres d’eau, dos courbé, couteau aiguisé à la main, il cueille un bouquet vert bouteille, l’attache avec un lien et le repose dans l’eau. Sans relever la tête, il recommence. Un bouquet, puis le suivant. Encore et encore, les pieds au frais, l’esprit ailleurs. « C’est un travail très solitaire, explique le quinquagénaire. Quand je bosse, je m’invente des histoires. Je voyage. »

La tenue du cressiculteur : des bottes, des raquettes pour marcher sur l'eau, un grand tablier et un couteau.
La tenue du cressiculteur : des bottes, des raquettes pour marcher sur l’eau, un grand tablier et un couteau.

L’histoire de la cressiculture, elle, remonte à la source Sainte-Anne, une eau puisée à 3 mètres sous le sol, filtrée par les sables de Fontainebleau. Légèrement en hauteur de l’exploitation, elle alimente la quarantaine de fossés, planches de culture aquatiques pour cressiculteurs. L’eau de source très pure et régulièrement analysée y circule en permanence jusqu’à se jeter dans la rivière encore un peu plus propre qu’avant, épurée par les plantes. « Les cressonnières sont de véritables biotopes, explique Mikaël, technicien environnement revenu à plein temps sur l’exploitation il y a 5 ans. On y trouve des phryganes, des larves de libellules, des gamarres et pleins d’autres bestioles aquatiques. » Tout un monde silencieux qui ne semble perturber le cycle du cresson.

Chaque fossé est alimenté par l'eau de source en mouvement qui termine sa course dans la rivière?
Chaque fossé est alimenté par l’eau de source en mouvement qui termine sa course dans la rivière.

Le cycle en tant que tel commence au mois de juillet lorsque les deux hommes sèment leurs propres graines, celles qu’ils ont collectées sur leurs meilleures plantes les années précédentes. Les semences sont minuscules, de la taille d’un grain de pavot. Aussi, pour ensemencer un fossé humide de 100 mètres carrés, il faut seulement 20 cl de graines, soit une canette de bière remplie aux 2/3. La technique n’a pas changé depuis le XIXe siècle. On sème le cresson comme la semeuse des anciennes pièces de 5 francs. A la volée. Ensuite, on ajoute chaque semaine un peu plus d’eau pour que la plante puisse pousser sans jamais se noyer.

Petit cresson deviendra grand en 8 semaines. On le récoltera ensuite 6 à 7 fois dans l'année.
Petit cresson deviendra grand en 8 semaines. On le récoltera ensuite 6 à 7 fois dans l’année.

Mais ce n’est pas tout, il faut aussi la nourrir. « On a choisi la culture raisonnée pas biologique précise Mikaël, c‘est-à-dire qu’on leur donne un peu d’engrais Superphosphate. En bio, les rendements sont encore moins importants. On ne pourrait pas faire face.» Quand on voit le boulot que les deux hommes ont à abattre, on a du mal à leur en vouloir. Il faut éclaircir les rangées, repiquer, ratisser pour mettre tous les plants dans le même sens, cueillir 6 à 7 fois dans l’année le même plant, couvrir les fossés les soirs des premiers frimas. Tout ça pour… 1 euro en moyenne la botte vendue à Rungis.

La récolte du cresson se fait à la main, les pieds dans l'eau. On forme de jolis bouquets bien denses.
La récolte du cresson se fait à la main, les pieds dans l’eau. On forme de jolis bouquets bien denses.

« Si j’ai décidé de revenir sur l’exploitation explique Mikaël, c’est pour sauvegarder ce patrimoine. Il y a 100 ans, il y avait des cressicultures partout dans le coin. A chaque fois qu’un ancien part, c’est un bout de notre histoire qui file avec. » Le trentenaire s’est tourné vers Rungis (90% du chiffre d’affaires) et la vente directe, via les Ruches notamment et tente aujourd’hui de donner un coup de jeune à la plante que beaucoup encore ne réservent qu’à la soupe. « Le cresson est un super aliment, hyper riche en anti-oxydants, en minéraux, en vitamines. On peut le manger cru, cuit, en terrine, en émulsion. Les grands chefs comme Alain Passart en sont fans.» Récemment, l’Association syndicale libre de la cressiculture essonnienne a lancé une campagne 4 par 3 sur le cresson pour donner un coup de pouce aux producteurs. Mais pour Mikaël, sa meilleure pub, c’est encore son père qui en mange régulièrement depuis plus de trente ans. On lui en donne 15 de moins.

Le cresson, c'est bon pour : les yeux, le foie, le sang, les os, les cheveux et les ongles... Pour tout quoi !
Le cresson, c’est bon pour : les yeux, le foie, le sang, les os, les cheveux et les ongles… Pour tout quoi !


12 commentaires

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  1. bonjour je souhaite reprendre la cressonniere de mon pere et cherche un salarier savez vous ou je pourrais me tourner pour trouver quelqu un de competent?

  2. LLe cresson me ramène à mon enfance que j’ai passé à Etampes, puis à Morigny-Champigny. Maintenant, je suis en Alsace et ici, le cresson est pratiquement introuvable.

  3. bravo …cela paraît si simple . de très belles images sous le soleil.
    on imagine que quand il pleut la récolte doit être plus ardue .Dos courbé pieds dans l’eau comme dans les rizières ! l’idée des raquettes est ingénieuse et ce reportage respire la « zénitude » …Nous avons vu quelques cressonnières à Veule les Roses en Seine maritime : mêmes sensations retrouvées à travers ce reportage entre la fraîcheur de l’eau , le vert du cresson et le bruit du ruisseau .

  4. Bonjour à tous, j’avais une amie qui cultivait le cresson dans le Vaucluse (l’Isle sur la Sorgue). Je ne sais pas si elle le fait toujours mais c’est un métier très dur. Couper le cresson dos courbé, les pieds dans l’eau pendant des heures, brrrrr !

  5. À Vélannes-la-Ville, direction Vélannes-le-Bois, il y a un lieu-dit la « cressonière » où pullulent désordonnés des milliards de plants de cresson.pourrait-on faire revivre ce lieu ? Un paysage de Corot.
    95420 Magny-en-Vexin.

  6. J’ai une zone tout le temps inondée dont je ne sais que faire… tiens je vais essayer ça!
    Bon courage les gars… !
    Coralie
    Maraichere BIO en Sud Aveyron!

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