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Spermaculture

Marchand de sperme : un métier d’avenir

Le marchand de semence.
Le marchand de semence.

Le monde sans femme meurt de lui-même. Tandis que sans homme, c’est très possible. Il suffit de garder une éprouvette, et on continue l’espèce. Ce monde castré que Desproges imaginait existe déjà : c’est celui de l’élevage. Pour comprendre l’industrie discrète mais puissante de l’insémination artificielle, j’ai pris contact avec Priape (son nom a été modifié), technicien génétique pour une coopérative de plus de mille personnes. Je l’ai suivi pendant son travail et, ensemble, nous avons sillonné la région du Mans toute une journée pour vendre notre semence de taureaux…

Mélancolie de la vache (n°1)
Mélancolie de la vache sans son taureau.

 

Par un froid matin de janvier, sous un ciel au gris séminal, je retrouve donc Priape à la gare du Mans. Il me fait monter dans sa voiture de fonction, et m’explique qu’aujourd’hui nous rendrons visite à trois éleveurs pour observer les vaches qui s’accoupleront d’ici trois ou quatre mois, et leur choisir dès aujourd’hui les géniteurs idéaux qui compenseront certaines faiblesses ou gonfleront au contraire les qualités plus recherchées. Sans surprise, ces qualités répondent à des exigences d’efficacité. La vache idéale doit manger peu, vêler facilement, bien vieillir, supporter la traite, résister au maladies, et surtout, produire beaucoup de lait (de préférence un lait pauvre en cellules somatiques et riche en gras qui sera facilement transformé par l’industrie agro-alimentaire).

Spermaculteur

Pendant la route, Priape m’explique les origines ancestrales de son étrange métier… Comme tout le monde le sait (excepté la majorité des professeurs de biologie aux États-Unis), toutes les espèces évoluent. Il y a d’abord la sélection naturelle : les individus les mieux adaptés aux conditions environnementales (nourriture, relief, climat, etc.) se reproduiront mieux. Mais dans le monde de l’élevage, une autre forme de sélection tend à prendre le dessus : c’est la sélection artificielle qu’opèrent les hommes, aussi appelée amélioration génétique. En effet, depuis le Néolithique, les éleveurs choisissent pour les accouplements des animaux qui répondent le mieux à leurs besoins. Ces besoins eux-mêmes évoluent. On ne sélectionne plus, comme au Moyen Âge, les porcs qui produisent le plus de suif, ni les vaches en fonction de leur capacité à servir d’attelage.

Mélancolie de la vache (n°2)

 

L’amélioration génétique est donc aussi vieille que l’élevage lui-même, et concerne tous types d’animaux : volailles, chevaux, poissons… Mais c’est surtout depuis les années 1970 que les avancées techniques ont permis à l’amélioration génétique de prendre une ampleur industrielle. Les animaux de nos fermes sont radicalement différents de ceux que nos grand-parents pouvaient voir il y a un demi-siècle ; ceux-là étaient déjà très loin des animaux sauvages dont ils étaient issus. Surtout, dans les élevages bovins laitiers où les mâles sont considérés comme des poids encombrants, plus de 90 % des animaux naissent à présent d’inséminations artificielles, y compris dans le secteur bio. Le boom de production laitière de ces trente dernières années ne s’explique pas autrement…

Nous atteignons notre première ferme aux alentours de 10 h, on enfile nos cottes (sortes de bleus de travail agricoles), puis en compagnie du propriétaire, on s’aventure au milieu du troupeau qui compte environ 150 bêtes. Elles nous jettent des regards en biais, mi-curieux mi-inquiets. Priape les a toutes sur sa liste : il prend des notes. Surtout, on commente les mamelles. On traque les plus grosses, les plus roses. Et devant les plus beaux spécimens, on s’exclame.

Pour respecter leur anonymat, nous avons dessiné des cagoules sur les personnes photographiées (Priape porte la rose).
Pour respecter leur anonymat, nous avons dessiné des cagoules sur les personnes photographiées (Priape porte la rose).

 

Après la visite, on se retrouve autour d’une table pour décider des futurs accouplements. Priape est une sorte de commercial et n’apporte avec lui qu’un catalogue pour présenter ses taureaux. Pour la race dont il s’occupe, on compte environ 300 mâles qui vivent dans une « station » (une sorte de ferme) : ils y mangent, dorment, et montent des vaches artificielles une fois par jour environ, ce qui est leur seule justification existentielle. Comme les robot-mixeurs ou les lave-linges, les mâles sont classés en quatre gammes : contours, avantage, luxury et prouesse.

Tinder d’étable

Sur Biscotte, je mettrais bien Grosmatou, pour lui redonner de l’aplomb. Et Mariette, on va lui réserver Groovy-Johnny, qui a un bon index lait. Priape suggère des unions et l’éleveur, dans l’ensemble, approuve ses conseils. Je parcours le catalogue et m’interroge sur le fait que la semence de Clunk ne peut être achetée que dans la limite des stocks disponibles. C’est un mauvais donneur, me dit Priape (comprendre : Clunk peine à jouir). Par contre, il est noté que la semence de Léonzitrone possède un pouvoir fécondant supérieur. Izydor, lui, brille par ses qualités, alors forcément sa semence coûte plus chère.

En parlant de prix, notez qu’une dose de quelques centilitres seulement coûte environ 15 €, et près de 50 € si la semence est sexée : c’est à dire qu’elle n’engendrera que des femelles. Car il est possible, à 93 %, de trier les spermatozoïdes mâles des spermatozoïdes femelles. Une seule entreprise au monde en est aujourd’hui capable : elle est américaine, s’appelle Sexing Technologies, possède un laboratoire en France, et le procédé qu’elle met en oeuvre est relativement compliqué.

Après une heure de discussion, les ventes sont conclues. Au printemps, un inséminateur parmi les centaines que compte la coopérative de Priape repassera pour inséminer les vaches avec les doses, qu’il apportera congelées à -196 °C dans des bonbonnes d’azote liquide. Et ça, c’est romantique.

On procède aux appareillements.
On procède aux appareillements.

 

Priape et moi prenons notre pause-déjeuner dans un village et discutons du marché mondial du sperme autour d’une assiette de pâté en croûte. Sur la race dont je m’occupe, il n’existe que deux coopératives et elles sont françaises. Mais pour les autres races, notamment la prim’holstein, la concurrence est rude, m’explique-t-il. Amérique, Canada, Allemagne : les doses viennent de partout, et la semence des champions les mieux notés s’arrache au prix fort.

On règle l’addition. On roule jusqu’à notre deuxième rendez-vous. On enfile nos cottes, et on recommence.

"Ouh qu'elle est belle !"
« Ouh qu’elle est belle ! »

 

Pour Priape et ses clients, l’insémination artificielle coule de source et n’est pas prête de disparaître. Ça se développe partout, aussi dans le domaine de la viande, me dit-il. C’est parti pour durer. Pour maintenir une race, il faut en permanence ramener de l’originalité dans le pedigree, sans quoi elle dégénère. C’est un travail continu. Il rappelle aussi que la situation est pire dans le domaine végétal, où l’amélioration génétique ne relève plus des agriculteurs eux-mêmes, mais a été entièrement privatisée par les grands semenciers.

Paradoxalement, cette industrie tend à nourrir les maux qu’elle prétend guérir, et se trouve régulièrement pointée du doigt par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui l’accuse d’appauvrir la biodiversité animale en ne favorisant que la diffusion d’un petit nombre de caractéristiques au sein d’un petit nombre de races à l’échelle mondiale. De plus, fatalement, le taux de consanguinité des élevages augmente et de nouvelles maladies apparaissent, contre lesquelles il faudra lutter par une sélection encore plus serrée des semences. Et ainsi de suite. Un cercle visqueux est à craindre.

Il s’avère donc que Desproges, en définitive, avait peut-être tort… Étonnant, non ?

Et le droit à la jouissance des vaches, dans tout cela ? Sur ce sujet, on vous conseille la lecture de cet article : http://petitlien.fr/7tm2


 

Illustration de couverture : Lygie Harmand.

18 commentaires

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  1. Et maintenant , il y a aussi les spermaculteurs pour l’humanité!!!!
    Après l’industrie agroalimentaire , c’est l’ère de l’industrialisation de l’homme!

  2. J’invite tous les détracteurs des éleveurs à découvrir passer une semaine avec des éleveurs pour découvrir le respect qu’ils ont envers leurs animaux

  3. e ne savais pas qu’on aimait ses bêtes, lorsqu’on les exploite pour leur lait, et qu’on les envoie à l’abattoir au bout de cinq ans, parce qu’elles ne sont plus rentables. Le lait de vache, ç’est pour les veaux, et les Européens peuvent se passer de manger des cadavres d’animaux, que l’on exploite et tue « gentiment ».

  4. ana comment voulez vous gerer la traite avec des veaux au pis? ici les veaux ont le lait des vaches et on n’y ajoute rien!!! et comment allez vous acheter votre lait si on laisse les veaux au pis?? ah et une petite question à vos enfants vous avez donner votre lait tt le long ou du lait en poudre?? enfin il faut arrêter avec vos respect de l’animal car je pense que certain particulier respecte bcp moins les animaux que les éleveurs!! je suis déçu de voir que les consommateurs nous voient comme des tyrans avec nos animaux mais je vous rappelle qu’une bête mal soignée ne produit pas donc je vois pas où est notre intérêt…moi j’aime mon métier, c’est ma passion et ma vie c’est pour moi un des plus beau métier au monde car je contribue à nourrir le monde et j’essaye de le faire du mieux que je peux mais etre accusé d’être des tyran, des empoisonneur et j’en passe, ca me rend malade de si peu de gratitude de personnes qui ne savent pas de ce quoi elle parle au juste!! sur ceux je ne vous embêterai pas plus longtps car je pense que nous avons de points de vue très différents et je respecte car sans débat on n’avancera pas!

  5. Alors pourquoi ne pas laisser les veaux téter leurs mères, Lise ?
    Lorsque j’allais faire la traite, je devais garder un peu de lait de la mère dans un seau et y ajouter des farine. C’est cela respecter l’animal ? A d’autres !
    Et ceci n’est qu’un exemple.

  6. si je resume vos commentaires, nous éléveurs nous traitons mal nos animaux à les faire souffrir!!!!…mais messieurs dames pour faire le métier que l’on fait il faut avoir la passion et l’amour pour nos animaux, se lever à 6h et rentrer à 20 h car on passe nos journées a s’occuper d’eux, refaire leur lit (paille) , leur donner à manger, soigner certaines qui ont besoins et j’en passe, c’est pas de l’attention, ça??? Et dites vous bien que si l’agriculture est en arrivée à ce stade de demande d’amélioration et de performance c’est en premier lieu à cause du consommateur qui ne veut pas un lait ou une viande trop grasse, une pomme bien ronde et surtout pas biscornu même si elle est aussi bonne que la « parfaite »…alors avant de juger notre métier commencé déjà à changer vos habitudes et vos exigences, car c’est VOUS qui avait le plus grand pouvoir!!

  7. En plus de l’agriculture et de l’élevage « bio », à quand l’élevage dans le respect de l’animal ??
    Sommes nous conscients, que ces méthodes ne nous apportent, à nous humains, que de nouvelles maladies de plus en plus insoignables ?? Pas sûre.. pas sûre non plus qu’on soit prêt à l’entendre…
    Et notre gouvernement qui ne parle que de « santé publique » avec toutes les normes d’hygiènè and Co, pourquoi favorise-t-il ces lobbys financiers ?? (oh désolée, la réponse est dans ma question.. parce que ce sont des lobbys financiers…)
    Et je ne vous parle pas de la souffrance animale.
    Un homme qui ne respecte pas les animaux ne respecte pas les humains non plus…
    Nous sommes omnivores donc susceptibles de manger de la viande mais rien ne nous impose ce que nous faisons aujourd’hui en méthode de reproduction, d’élevage, et d’abattage.

  8. Léon Zitrone serait peut-être content de savoir, dans sa dernière demeure, qu’il possède un pouvoir supérieur fécondant. Paix à son âme !

  9. Super article! Il en faut plus comme ça sur les autres thèmes de l’agriculture et du traitement des animaux comme le suggérait Charlotte.
    Par contre en parlant d’évolution, j’aimerai savoir quels facteurs ont amené les Français être aussi négatifs. Quand je lis les commentaires de dujardin et Sophie, je ne vois que de l’aigreur.
    Je vous en prie, prenez vos claviers et commencer à rédiger les articles magnifiques que vous réclamez tant, on n’attend que ça.

  10. Heureusement que le dernier paragraphe exprime enfin un désaccord avec ces méthodes ignobles car tout le reste de l’article soutient ces délires de semences et les maltraitances que cela inflige aux bovins. Franchement, vous pourriez être un peu plus engagé.

  11. Je suis outrée par le ton d’amusement et de légéreté quand l’article se réfère à Menguele .
    Prenez vous la responsabilité d’une référence liée à une politique de génocide massif mise en oeuvre par le nazisme au XX è siècle ?

  12. Quelle horreur ! À quand un article sur ce qu’il advient des veaux lorsqu’on produit du lait ? Tant qu’à faire de tout montrer…

  13. De vrais bandits masqués.
    Ils doivent rester anonymes les petits Mengele qui trafiquent les gamètes.
    Faut voir les monstres qu’ils créent. Par exemple sur la Limousine ils arrivent a faire des bêtes de 1500 Kg, tellement grosses qu’elles n’arrivent plus a vêler.
    Alors que c’était une des qualité de la Limousine.
    Regardez les troupeaux aujourd’hui, que des clones parfaits, identiques partout dans le monde.
    Culte de la race supérieure.

    Et le discours « nous on est petit »…. « les semenciers ils sont comme ci »…. « la Holstein par la »…pour masquer la triste réalité.

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