fbpx

Le caviar de Charentes : entre petites fables et Grande Histoire

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr

Si on vous dit caviar, vous répondez Russie, toque et vodka. Mais la petite perle noire a également connu son heure de gloire à Saintonge, au coeur des Charentes grâce à des princesses et des marchands allemands. Récit.

Il était une fois, Herr Schwax un marchand allemand d’Hambourg, de passage dans la province historique de Saintonge. Au petit port de Saint-Seurin d’Uzet plus exactement. Nous sommes entre 1868 et 1890. A cette époque, en Mer Noire et en Mer Caspienne, on pêche à outrance l’esturgeon car dans l’esturgeon, tout est bon ! On mange la chair de ce grand poisson carnassier (qui pèse entre 50 et 60 kg) fumée ou salée. Sa peau épaisse peut servir de cuir de haute qualité pour la maroquinerie de luxe, sa vessie permet de faire de la colle et surtout, la vente de ses œufs – le caviar – enrichit comme jamais les pêcheurs.

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Belle prise les gars.

Ayant remarqué que les marins charentais rejetaient les œufs à la mer ou les donnaient comme nourriture aux canards (ça va pas la tête ?), Herr Schwax décide d’apprendre au pêcheur du coin, Théophile Roux, comment fabriquer le caviar. Mais l’esturgeon est un poisson des profondeurs et mal préparés, ses oeufs tournent au vinaigre : ils sont trop salés et ont le goût de vase. En 1902, la maison Toutblanc, mareyeur à La Rochelle, met au point une nouvelle formule. Malheureusement, la guerre éclate et les hommes sont mobilisés. On oublie alors, de force, que le caviar peut être fabriqué localement.

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Le caviar des Charentes, une sombre histoire de parapluie.

C’est la halte, dans le même village (décidément !), d’une princesse russe au parapluie qui relance l’activité en 1917. Seconde légende. La belle élégante, de la famille du Tsar fuit la révolution bolchévique. Au hasard de l’une de ses promenades, elle constate avec stupeur qu’après avoir éventré les « créach » (nom local pour les esturgeons), les pêcheurs de St Seurin ne conservent pas les œufs couleur de jais. « C’est un crime que vous commettez ! C’est avec ces œufs que nous fabriquons le caviar, chez nous, en Russie et c’est une pure merveille ! ». Elle promet alors d’envoyer un spécialiste compétent pour leur enseigner la précieuse et efficace formule de préparation et …en oublie son parapluie !

Et là, c’est l’Histoire qui commence ! Le « pro » arrive au village dans les années 20 et partage la bonne méthode avec Jude Milh, fils de pêcheur. Puis tout s’emballe : à Paris, la maison Prunier, achète le caviar charentais et en prend le monopole avec une production annuelle entre 3 et 5 tonnes, tous ports charentais de l’estuaire de la Gironde confondus.

On organise des dégustations de caviar local dans tous les restaurants alentours, les pêcheurs se spécialisent dans l’esturgeon et jusqu’au début des années 50, vedettes du spectacle et hommes politiques affluent pour déguster l’or noir local. Selon René Val, figure saintongeaise à qui l’on doit beaucoup pour la réhabilitation de l’histoire du caviar de l’estuaire de la Gironde, « Saint-Seurin était la capitale française du caviar et pendant la saison, le village était noir de monde » ! Normal .. on parle de caviar !

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Ah oui, qui di caviar dit scalp.

Techniquement, la fabrication de ce mets de luxe est délicate et le moindre grain de sable dans les rouages peut compromettre le résultat final. Dès sa capture, l’esturgeon est remorqué et amené vivant au port. C’est en lui sectionnant la colonne vertébrale sous la nageoire caudale qu’il est tué et son ventre est alors ouvert sur toute sa longueur pour en extraire ses œufs (en moyenne de 8 à 10 kg par esturgeon et exceptionnellement jusqu’à 25 kg). Ils sont immédiatement tamisés, trempés dans une saumure et légèrement salés : cette salaison est essentielle et c’est bien souvent la même personne, virtuose en la matière qui la réalise. La quantité de sel varie suivant la grosseur des œufs et leur consistance. Après égouttage, c’est la mise en boîte puis en vente de cette semi-conserve à conserver au froid (environ 5°C).

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Esturgeon deviendra grand.

 
Du point de vue du poisson, on est amphihalin potamotoque migrateur. Non, ce n’est pas le nom compliqué d’une tribu cannibale ; ça veut juste dire qu’il effectue sa reproduction en eau douce ainsi qu’une partie de sa croissance. Pour l’esturgeon, l’estuaire de la Gironde, c’est la route de tous les dangers mais aussi et surtout le seul fleuve français lui offrant la promesse d’une progéniture. Il passe le plus clair de son temps dans les grands fonds marins, en mer Baltique et c’est poussé par son instinct de reproduction qu’il fait son baluchon : à moi les eaux douces qui ne brûleront pas mes œufs !

Le rituel est donc immuable : les adultes qui vivent dans les eaux littorales commencent à remonter le fleuve en avril et alors que la femelle rase le fond des gravières de la Dordogne ou de la Garonne pour pondre, les mâles passent après pour répandre leur semence à proximité. Une fois le boulot effectué, les parents retournent aussitôt en mer et laissent toute liberté aux alevins qui resteront environ 4 ans en rivière. Petit poisson devenu grand retournera alors à son tour vers le Nord mais c’est promis, dès qu’il soufflera ses 15 bougies, l’appel de l’estuaire de la Gironde sera plus fort que tout et il reviendra dans ses profondeurs de naissance.

Et c’est là que l’Homme peut faire du grabuge… Après la Seconde Guerre Mondiale, c’est le carnage : «  des gens inexpérimentés ramenaient des milliers de petits esturgeons d’un coup de filet. Ils auraient dû les rejeter à l’eau. Non professionnels, ils n’avaient que faire de la législation  ». L’esturgeon est pêché intensivement et excessivement, les frayères sont pillées pour construire des immeubles ou des barrages hydroélectriques… Résultat : le poisson roi de l’estuaire disparaît et à partir de 1982, sa pêche est interdite en Europe. Il est urgent d’intervenir dans le bon sens !

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Nurserie pour esturgeons d’élevage.

C’est alors que le Cemagref (Irstea aujourd’hui)  débute un plan d’élevage des esturgeons. Deux espèces sont alors sélectionnées : l’osciètre et acipenser baerri (l’esturgeon sibérien) remplacent aujourd’hui leur frère sauvage acipenser sturio pour la production du caviar régional. Localement, c’est à Saint-Genis de Saintonge, qu’un éleveur est devenu super producteur français, fournit 8 % de la production mondiale et a pu créer 45 emplois…

C’est qu’il y en a des étapes de fabrication pour obtenir LE produit parfait ! Des biopsies et des échographies sont réalisées sur les poissons vivants pour déterminer la maturité de leurs oeufs et une des phases primordiales est de les placer dans une eau la plus pure possible afin d’éliminer tout risque de mauvais goût (vase ou terre). Après abattage, les œufs sont nettoyés, triés selon leur taille, leur fermeté et leur couleur, salés, séchés et conditionnés.

Oui Le Blog, https://magazine.laruchequiditoui.fr
Allez, une petite bouchée pour la route ?

Quant au village où tout a commencé à la fin du XIXème siècle, bien nostalgique de son âge d’or, il accueille depuis 2010 l’association Patrimoine Saint-Seurin d’Uzet qui a ouvert une Auberge-musée du Caviar et de l’Esturgeon. Elle organise notamment des « balado’caviar », pour que le cœur de la capitale du caviar se remette à battre.

Pendant ce temps-là, depuis une vingtaine d’années, des esturgeons sauvages ont été lâchés dans l’estuaire pour tenter le repeuplement du milieu naturel mais il faudrait pouvoir revenir 100 ans auparavant sur ce petit port charentais, à la rencontre de la princesse russe au parapluie. Réécrire l’histoire pour que ce curieux poisson, spécimen attardé de l’époque primaire, continue de frayer, sans pépin, dans notre estuaire.

 

10 commentaires

Close

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Eventrer des femelles enceintes pour manger leurs œufs … ce n’est pas dit méchamment ni avec rancune mais je pense que cet acte est barbare. Je ne mange déjà quasi plus de viande, et je m’assure que le peu que je mange a été traité et abattu le plus humainement possible mais à continuer à lire ce genre d’article, je ne vais vraiment plus tarder à être végé à 100% … 😉

    1. Moi aussi çà m’intéresse, je suis en vacances à Royan fin septembre et j’aimerai savoir si la Ruche de Royans le propose ce caviar.
      Merci de votre réponse et à se rencontrer en septembre

    2. Oui, où peut-on se procurer ce produit de luxe ? La Ruche a-t-elle prévue de l’ajouter à son catalogue ? Sinon, je suis preneur pour une bonne adresse. Merci.

  2. Bonjour,

    Est-ce que la chair des poissons est consommée de nos jour ou sont-ils juste éventrés pour leurs œufs?

    Merci 😉

  3. Dans les années 50, non seulement on a décimé la population d’esturgeons, mais c’était pour produire un caviar peu cher et infect qui a innondé le marché local un certain temps. Quand mon arrière grand mère en recevait une boite en cadeau, elle le donnait à manger à ses poules….

  4. Pourquoi dites-vous « Les Charentes », il n’y a qu’une Charente, c’est un fleuve . Remarquez, une fois, on m’a donné cette explication : »C’est parce qu’il y a deux Charentes, la Charente nantaise et la Charente niortaise » …

    1. Pourquoi les Charentes ?
      Parce qu’il y a deux départements : la Charente (16) dont la préfecture est Angoulême et la Charente Maritime (17, autrefois dite inférieure, puisqu’en aval du fleuve) dont la préfecture est La Rochelle.

  5. Passionnant ! Et donc ces 8% de la production mondiale sont faits avec des œufs d’esturgeons pêchés dans la Gironde, ou ai-je mal compris ?

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle

Oui ?

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle