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Une histoire belge

Bernard
Bernard

L’histoire de Bernard, c’est un peu celle de David contre Goliath ou de Titi contre Grosminet : un combat déséquilibré et sans espoir. Depuis toujours, cet éleveur laitier tenta de faire face aux industries d’un secteur en proie aux logiques de concentration et de monopole. A la fin, pas de victoire mais une rédemption, car Bernard choisit simplement de changer de route. Il s’était trompé d’adversaires… Dans sa cuisine il me raconta quarante ans de sa vie, dont les évolutions suivirent celles de l’agriculture depuis années 1950 à aujourd’hui.

Bernard, encore au téléphone
Bernard, encore au téléphone

Chez Bernard le tumulte est permanent. Les enfants du village transforment sa ferme en colonie de vacances, et son téléphone réclame à lui tout seul plus d’attention qu’un oisillon venant de naître. Quand Bernard règle ses machines, il est en ligne. Quand il nourrit les veaux, il est en ligne. Même quand il parle avec sa compagne Delphine, il est en ligne. Entre la pasteurisation du lait et sa mise en bouteille, il m’invite en cuisine pour répondre à mes questions tout en avalant un sandwich. Il faudra faire vite : ce soir, il doit assurer des livraisons.

La Ruche-Mama et les enfants du coin.
La Ruche-Mama et les enfants du coin.

Bernard est né ici, en région bruxelloise, et cette ferme était celle de ses parents qui à l’époque ne fabriquaient que du beurre. A l’âge de 19 ans, sans formation particulière, il décide de reprendre l’exploitation. Nous sommes en 1991. Il travaille seul avec sa mère et, de son propre aveu, les premières années « ne sont pas les plus belles de sa vies ». Il faut dire qu’il assiste, impuissant, aux transformations du métier. La compétition se mondialise, le secteur se concentre, et tout s’accélère. « A l’époque si tu avais quarante hectares, tu avais une grosse ferme. Aujourd’hui c’est tout petit. Il faut être réaliste : on était plus cool, on courait moins, on prenait le temps de discuter avec les voisins. »

A cet instant le couple habitant la maison d’à côté fait irruption dans la cuisine. Tout le monde se prend dans les bras avant d’évoquer l’organisation d’une prochaine fête (une « guindaille », comme ils disent là bas). Je fais remarquer à Bernard que cette conversation contredit l’amer constat qu’il posait au sujet des relations de quartier. Il me répond : « Oui, en fait j’ai le temps, mais ça dépend des voisins. »

Bernard et sa femme, tous deux au téléphone
Bernard et Delphine, tous deux au téléphone

Bernard rencontre Delphine et l’épouse en 1998. Commence alors, pour la famille et pour la ferme, une phase d’expansion. Chaque année des hectares, des vaches et des enfants s’ajoutent au patrimoine commun. Le couple signe ses premiers contrats solides avec la grande distribution et, en 2009, atteint son record de production : 900 000 litres par an. Dans le temps, les parents de Bernard faisaient quatre fois moins.

Mais soudain c’est la crise du lait. Le prix du marché chute en dessous de 20 centimes le litre alors qu’il coûte au moins 33 centimes à la production. Bernard perd 100 000 euros. « Le marché c’est de la foutaise. C’est un grand mot, de la poudre aux yeux pour désigner les industriels qui gagnent leur vie. Le prix du lait est fixé par les coopératives et les industriels selon les cours de la poudre et du beurre, qui eux-même sont fixés à Chicago. Lactalis, Arla ou Danone peuvent effectivement payer ce prix là car derrière ils valorisent mille fois mieux. Un jour, on a entendu le patron de Danone expliquer qu’ils étaient là pour vendre du sucre. Le sucre est le meilleur exhausteur de goût au monde et c’est aussi le moins cher, alors ils en mettent partout, dans les yaourts, les fromages, etc. »

A son tour, son fils rentre dans la pièce : « Je peux prendre un biscuit ? »

– « Non, tu prends un fruit. »

– « Tu dis toujours non !« , s’écrie-t-il en claquant la porte.

Son père plonge la main dans le bocal à cornichons : « Il s’appelle Thomas. Il fait sa crise. »

L'équipe de la Ruche-Mama aide à l'embouteillage.
L’équipe de la Ruche-Mama aide à l’embouteillage.

En pleine crise du lait, Bernard et Delphine ne lâchent pas prise et se disent que le bout du tunnel est proche. Ils échafaudent des projets, rencontrent des investisseurs, passent à deux doigts d’acheter une fromagerie industrielle… Mais tous les matins ils se lèvent, travaillent, et perdent de l’argent… Jusqu’en 2011, quand la lassitude les rattrape d’un coup. Ils décident de tout abandonner. C’est le revirement complet !

Ils cèdent des hectares, réduisent leur troupeau, et retrouvent le niveau de production qu’avaient les parents de Bernard à l’époque. Ils investissent pour transformer eux-même le lait et ne plus être à la merci des cours mondiaux.

Là Valentin déboule. « Salut tonton ! » Il part pour Bruxelles et salue son oncle en vitesse, pendant que ce dernier livre bataille au chat qui, lui, s’intéresse au sandwich.

Un veau à l'air benêt.
Un veau à l’air benêt.

« Les fromages frais sont au lait cru. Le yaourt, c’est sans ajout de poudres et avec des confitures de fruits artisanales. La philosophie est d’être jusqu’au-boutiste sur la qualité. Mon sentiment, c’est que c’est un secteur d’avenir. » Pas de doutes, Bernard a changé. « Il faut garder son esprit pour soi, je ne ferai plus du volume pour faire du volume. » Pour la vente, il s’oriente vers les circuits-courts, notamment les Ruches.

Voilà une histoire qui se finit bien. La journée, par contre, sera encore longue. Car sa Delphine vient d’entrer : « Alors il arrive à quelle heure le transporteur ? »

Un dernier baiser.
Un dernier baiser avant de partir.

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